Résumé:
Le concept d’espace sûr (safe space) est très en vogue dans les cégeps et les universités qui veulent favoriser l’inclusion. En termes simples, l’idée est que le professeur déclare ouvertement que sa classe est à l’abri de l’exclusion, qu’elle est un lieu exempt d’oppression et de jugement entre les membres de cette communauté. En théorie, cela offre une certaine protection aux étudiants issus de groupes marginalisés, ce qui les aide à s’y sentir plus à l’aise. On dit aussi que les espaces sûrs sont avantageux pour tous puisqu’ils facilitent les discussions libres et ouvertes.
Ce concept a été largement médiatisé dans les années 2010, alors que les universités ont entrepris de
s’attaquer publiquement aux enjeux de discrimination et de harcèlement. Les termes traumavertissements
et microagressions se sont alors taillé une place dans le langage courant. En 2015, Judith Shulevitz, journaliste au New York Times, a néanmoins mis son lectorat en garde contre le fait que les espaces sûrs se répandaient désormais bien au-delà de leur champ d’application initial : « une fois que vous désignez
certains espaces comme sûrs, vous sous-entendez que les autres ne le sont pas. Il s’ensuit un raisonnement selon lequel ils devraient être rendus plus sûrs ». Suivant cette logique, l’espace sûr peut alors devenir un terrain glissant pour le corps professoral. Si la communauté étudiante
et l’administration scolaire adhèrent à l’idée selon laquelle les professeurs peuvent rendre une classe
sûre aussi facilement, qui est alors imputable si un étudiant s’y sent « en danger » ? Bien sûr, les
textes pédagogiques contemporains sont souvent plus nuancés, traitant de climat de la classe plutôt
que de sécurité. Dans cet article, nous présentons d’abord une réflexion appuyée sur la littérature et
l’actualité quant à la notion même d’espace sûr, puis nous proposons une alternative pratique tournée
vers les comportements observables pour façonner un environnement de classe bienveillant et inclusif,
favorisant un meilleur vivre-ensemble. (AQPC)