"Les paradigmes qui orientent l’enseignement de la littérature sont remis en question
depuis une vingtaine d’années par ses praticiens et ses penseurs. L’approche formaliste et
sociohistorique des textes littéraire qui prédomine depuis les années 1970 ne fait plus
consensus. Les principales critiques qui lui sont adressées soulignent l’excès de technicisme.
Afin de mettre un terme à cette approche et à ses conséquences alléguées chez les étudiants
(désintérêt pour la lecture, conformisme de la pensée), des chercheurs en études littéraires et
en didactique valorisent des pistes d’entrée dans la littérature centrées sur l’investissement
subjectif du lecteur et les potentialités créatrices que recèle la lecture. Pour ces théoriciens, la
lecture telle que pratiquée au sein des institutions scolaires devrait être davantage considérée
comme une expérience esthétique que comme un outil d’apprentissage de savoirs littéraires et
de savoir-faire rédactionnels.
Ces préoccupations trouvent également écho chez certains enseignants de littérature
au collégial québécois. Dans les dernières années, la publication d’essais et d’études sur
l’enseignement de la littérature au cégep ainsi que la création d’un groupe de recherche
(LIREL) consacré à repenser la transmission littéraire au cégep témoignent de la vitalité de ces
questions. Plusieurs de ces contributions proposent de miser sur une appropriation subjective
de l’œuvre par les étudiants. Cette approche du texte se heurte toutefois aux devis ministériels
qui valorisent les dimensions formalistes et sociohistoriques de la littérature. Néanmoins, de
nombreux enseignants déclarent mettre en œuvre un enseignement axé sur la dimension
subjective de la lecture. Comment résolvent-ils la tension entre cette conception de la lecture
et celle des devis? Afin d’explorer cette question et d’examiner le déploiement d’une approche
expérientielle de la lecture au cégep, nous avons interrogé sept enseignants de littérature sur
leurs pratiques. Nous avons ainsi pu dégager des éléments constitutifs de leurs représentations
qui orientent leur enseignement de la lecture. En outre, les données recueillies nous informent
sur divers aspects de cette formation à ce mode de lecture, sujet peu documenté.
Pour mettre en lumière l’importance que revête aujourd’hui la part subjective du
lecteur dans les thèses des chercheurs en études littéraires et en didactique, nous étudierons son
émergence dans les théories de la lecture littéraire. Par la suite, nous analyserons et
comparerons justement les propositions de trois essayistes (Citton, Jousset et Merlin-Kajman)
et de multiples didacticiens quant à l’enseignement de la lecture littéraire au regard d’une
perspective propre au cégep.
Enfin, à l’aune de cet examen théorique, nous relèverons les cinq thématiques qui
rendent compte des divers éléments d’une formation à la lecture littéraire au collégial qui
serviront de base à notre analyse des représentations des participants interrogés : la lecture
littéraire; les finalités de la formation à la lecture; la sélection du corpus; la formation
didactique et le cadre de références; les difficultés et contraintes." -- Résumé de l'auteur